Interview – Olivier Delooz explique sa stratégie pour faire répartir à la hausse les actifs sous gestion de Clartan Associés. L’associé gérant nourrit notamment des ambitions dans la gestion privée et auprès des CGP.
Les dernières années ont été compliquées pour Clartan Associés. Entre 2019 et 2021, vos actifs sous gestion sont passés de 1,4 milliard à 1,1 milliard d’euros, votre chiffre d’affaires a reculé de 17,3 millions à 14,4 millions d’euros et votre bénéfice net s’est replié de 2,86 millions à 2,26 millions d’euros. Comment expliquez-vous le ralentissement de votre activité ?
Le contexte de marché n’a pas été favorable à la gestion value depuis la crise de 2008. Or les valeurs décotées sont l’une de nos deux spécialités, avec les actions « quality ». L’environnement de taux bas a en effet orienté massivement les investisseurs vers les valeurs de croissance. Mais cette période nous semble révolue : la remontée de l’inflation et le resserrement monétaire ont déjà conduit à une forte rotation sectorielle depuis fin 2021, très favorable à la gestion value.
Nous profitons déjà de cette situation car nous avons su rester fidèles à nos convictions. A savoir l’investissement de long terme dans des entreprises dont la valorisation nous paraît déconnectée de leurs fondamentaux et dans celles dont la rentabilité est supérieure à celle de leurs pairs. Je signale par ailleurs que nous sommes parvenus à rester largement bénéficiaires ces dernières années et que nous avons continué d’embaucher.
Vos encours sont-ils repartis à la hausse depuis le début de l’année ?
Nos fonds résistent globalement bien mieux que l’ensemble des marchés actions. Notre vaisseau amiral Clartan Valeurs perd par exemple seulement 2,5% depuis le 1er janvier, tout comme notre deuxième plus gros fonds, Clartan Patrimoine. A titre de comparaison, le CAC 40 et l’EuroStoxx 600 ont reculé de 10% sur la période et le Nasdaq de 25%.
Nous avons en outre réalisé une collecte nette d’environ 12 millions d’euros depuis le 1er janvier, dont une dizaine rien que sur Clartan Valeurs. En parallèle, de nombreuses sociétés de gestion faisaient face à des retraits de capitaux. Plusieurs institutionnels et CGP nous ont sollicité ces derniers temps car ils souhaitaient ajouter une dimension value à leurs portefeuilles.
Avez-vous fait évoluer votre allocation d’actifs ces derniers mois ?
Nous restons fidèles à nos convictions mais avons effectivement procédé à quelques arbitrages. Dans le contexte inflationniste actuel, les valeurs capables de répercuter la hausse des coûts des matières premières – ou qui en bénéficient – ont particulièrement nos faveurs. Clartan Valeurs est ainsi fortement positionné aujourd’hui sur le secteur énergétique, avec des majors pétrolières (Shell, TotalEnergies, ENI…) et des groupes proposant des technologies adaptées à la transition énergétiques (GTT, Technip Energies…).
Nous avons également renforcé notre exposition aux valeurs financières, principalement bancaires, car la remontée des taux devrait leur permettre de reconstituer leurs marges. Elles font de surcroît partie des valeurs les plus décotées par rapport à leur actif net tangible. Nous apprécions aussi le secteur de la santé car les laboratoires pharmaceutiques fournissent des produits essentiels et que leurs revenus sont peu sensibles à la conjoncture économique. Tout en étant, là encore, relativement peu chères. Sanofi s’échange par exemple à peine 13 fois son bénéfice net par action escompté fin 2022.
De nombreux économistes prédisent une récession à court ou moyen terme. Ne craignez-vous pas que cela fasse repartir les valeurs value à la baisse, compte tenu de la cyclicité d’une part importante de ces titres ?
Nous nous trouvons en effet dans un contexte très particulier. D’une part, la réouverture des économies soutient fortement l’activité. Mais d’autre part, la guerre en Ukraine, l’inflation ou encore le resserrement monétaire sont de nature à peser sur la croissance. Je pense toutefois que le marché a déjà en grande partie intégré le risque de récession. L’action Société Générale s’échange par exemple à un prix correspondant à 40% de son actif net tangible, ce que nous considérons déjà comme un « cours de récession ». De ce fait, j’ai la conviction que la revalorisation des titres value prendra un nouvel élan dès que de bonnes nouvelles surviendront, par exemple sur le front de l’inflation ou de la guerre en Ukraine.
Comment répartissez-vous vos encours actuellement ?
Notre gamme compte aujourd’hui six fonds correspondant à différents profils d’investissement. Nos deux véhicules les plus anciens, créés en 1991, Clartan Valeurs et Clartan Patrimoine sont centrés sur les grandes capitalisations (large caps) et affichent respectivement 456 millions et 231 millions d’euros d’encours. Lancé en 2003, Clartan Europe (70 millions d’euros) investit pour sa part dans les small, mid et large caps européennes et est éligible au PEA.
En 2012, nous avons commercialisé Clartan Evolution (44 millions d’euros d’encours), dont la volatilité se situe entre celle, faible, de Clartan Patrimoine et celle, plus élevée, de Clartan Valeurs. Notre dernier lancement en date remonte à 2020 avec le fonds socialement responsable Clartan Ethos ESG Small et Mid Cap (41 millions d’euros), en partenariat avec la Fondation Ethos, basée en Suisse. Nous avons également une offre de multigestion avec le véhicule Clartan Multimanagers Balanced (7 millions d’encours), dont nous comptons d’ailleurs pousser davantage la commercialisation cette année.
En termes de répartition géographique, nous sommes majoritairement exposés aux actions européennes. Parmi elles, les valeurs françaises représentent un peu moins de 45% du fonds Clartan Valeurs et les deux tiers de Clartan Europe.
Quelle est votre stratégie commerciale pour renouer avec la croissance ?
Nous avons toujours avancé que l’investissement en actions à long terme était bien plus rémunérateur qu’un positionnement obligataire, et aussi moins volatile au-delà d’une durée de 7 ans. Fondée en 1986 sous le nom de Rouvier Associés, notre société dispose d’un solide track record pour appuyer cette thèse et attirer de nouveaux investisseurs. Sur 10 ans, Clartan Valeurs affiche par exemple une hausse de 102%. Notre objectif est ainsi de permettre à nos clients de doubler leur mise de départ sur une période allant de 7 à 10 ans.
Pour y parvenir, nous nous appuyons sur l’expertise de notre trentaine de collaborateurs, majoritairement basés à Paris. Mais notre équipe comporte aussi trois personnes à Bonn, en Allemagne, et trois salariés à Lausanne, en Suisse. Nous voyons encore beaucoup de potentiel sur ces trois marchés, qui représentent respectivement 75% de notre activité, près de 15% et moins de 10%. Nous comptons notamment renforcer notre offre en matière de gestion privée et auprès des CGP, à travers une offre de délégation de gestion spécifique pour ces derniers.
Mais nous n’oublions pas les institutionnels. Nous sommes par exemple en train de configurer de nouvelles parts de Clartan Valeurs pour qu’elles soient adaptées aux spécificités de ces investisseurs, notamment en matière de frais. Nous l’avions déjà fait pour Clartan Ethos ESG Small et Mid Cap. D’ailleurs, nous avons recruté un gérant, Nicolas Descoqs, en septembre dernier pour développer spécifiquement notre activité auprès de cette clientèle.
En Allemagne, Patrick Linden a déjà réussi à bien établir notre marque auprès des CGP et des institutionnels depuis la création de notre bureau à Bonn en 2011. Il lui incombe désormais de nous faire davantage connaître auprès des investisseurs particuliers, mais aussi de proposer de nouvelles offres de gestion sous mandat, pilotées depuis Paris.
Concrètement, quels sont vos objectifs chiffrés ?
Nous ambitionnons de doubler nos encours sous gestion d’ici cinq ans, afin de les porter au-delà de 2 milliards d’euros. Faire croître nos actifs gérés est notamment l’une des voies pour continuer d’attirer des talents et de les fidéliser. Car Clartan Associés est une entreprise qui appartient à ses associés et ses salariés et nous voulons que cela reste le cas. Un autre axe pour atteindre cet objectif est de maintenir notre culture d’entreprise collégiale, qui nous distingue d’autres maisons. Nous avons en effet mis en place le principe « un collaborateur, un vote » lors de nos discussions stratégiques ou comités d’allocation. Quel que soit son niveau d’ancienneté dans l’entreprise, chaque personne peut y avoir autant de poids lors des prises de décision.
Les rapprochements se poursuivent dans la gestion d’actifs. Allez-vous participer à la consolidation du marché ?
Nous n’avons pas l’intention de lancer de grande opération de fusion-acquisition. En revanche, nous sommes tout à fait disposés à accueillir des expertises complémentaires et compatibles avec notre philosophie collégiale. C’est par exemple ce que nous avons fait en intégrant les deux collaborateurs de Topiary Finance en 2015.
Propos recueillis par Guillaume Clément