La BCE a enfin dévoilé les caractéristiques de son nouvel outil anti-fragmentation. Bien que flexible, il n’a toutefois rien d’un « open bar monétaire » pour les pays de la zone euro.
« Vous allez voir, le communiqué va être publié dans deux minutes. » Effectivement, 120 secondes après que Christine Lagarde a prononcé ces mots ce jeudi 21 juillet à 15h43, la présentation détaillée du nouvel « outil anti-fragmentation » de la BCE est apparue sur le site internet de l’institution monétaire. Et exactement au même moment, la présidente de la Banque centrale a mis fin à la conférence de presse d’une heure durant laquelle elle a annoncé la première remontée de ses taux directeurs depuis 2011. Manifestement, l’Etat-major de la BCE n’avait pas envie de répondre aux questions des journalistes sur sa nouvelle arme.
Et un programme de plus !
Le Conseil des gouverneurs de la banque centrale a en effet approuvé ce jour – « à l’unanimité », a tenu à préciser Christine Lagarde – la création de l’« instrument de protection de la transmission » (IPT). Ce mécanisme « complète l’éventail des instruments du Conseil des gouverneurs, pourra être activé pour lutter contre une dynamique de marché injustifiée, désordonnée qui représente une menace grave pour la transmission de la politique monétaire au sein de la zone euro. » Autrement dit, la BCE pourra y recourir lorsque les taux d’emprunt ou les spreads des Etats-membres augmenteront trop à son goût.
Concrètement, l’IPT est un programme de rachat d’actifs de plus au bilan de la BCE ! Il s’ajoute ainsi au PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme) et à l’APP (Asset Purchase Programme), tous deux formellement arrêtés mais qui continueront à réinvestir « les remboursements des titres arrivant à échéance » pour encore un bon moment. Ces rachats s’effectueront sur le marché secondaire.
No limits
Contrairement à ses prédécesseurs, l’IPT n’a pas de limite de taille ou de durée. Du moins, au stade actuel. Le communiqué de la BCE stipule simplement que « l’échelle des achats de l’IPT dépendra de la sévérité des risques qui pèsent sur la transmission de la politique monétaire ». Il précise aussi que « les achats de sont pas restreints ex ante. »
Ils devraient néanmoins prendre fin dans deux situations. Soit en cas « d’amélioration durable de la transmission » de la politique monétaire. Soit si la BCE estime que « les tensions persistantes sont dues aux fondamentaux des pays ». En clair, l’institution ne veut pas que les marchés croient qu’elle les privera totalement de leur pouvoir de fixation des prix des actifs. Du moins, lorsque les prix en question lui semblent justifiés par les caractéristiques des emprunteurs.
Par ailleurs, le Conseil des gouverneurs évaluera l’impact de l’IPT sur la structure du portefeuille d’actifs de l’ensemble de la zone euro. Et s’attellera à ce que ce programme n’ait pas « d’impact persistant » sur le bilan de la BCE. De quoi laisser augurer un potentiel mécanisme de neutralisation de ces nouvelles injections de liquidités.
Quels critères ?
L’IPT se focalisera sur la dette publique, émise par les États, les collectivités territoriales ou des agences publiques. Les titres visés devront avoir une maturité résiduelle de 1 à 10 ans. « Si c’est approprié », l’institution pourra aussi « considérer » l’éventualité d’acheter des créances d’acteurs privés. C’est-à-dire des dettes d’entreprises.
« Tous les pays de la zone euro sont éligibles à l’IPT », a insisté Christine Lagarde. Certes, mais ils devront tout de même remplir une liste de critères dont l’évaluation revient au Conseil des gouverneurs de la BCE. Contrairement au PEPP et à l’APP, l’IPT ne ressemblera donc pas vraiment à un « open bar monétaire ».
Par exemple, les pays qui souhaitent recourir à l’IPT devront en effet ne pas faire l’objet d’une procédure de déficit excessif de la part de l’Union européenne. Ou à minima être engagés sur une trajectoire de réduction des déficits publics jugée satisfaisante. Par ailleurs, les potentiels bénéficiaires n’ont pas intérêt à être visés par la procédure pour déséquilibre macroéconomique excessif de l’UE, introduite en 2011 à la suite de la crise grecque. A moins, là encore, qu’ils aient pris des « mesures correctives » pour rassurer Bruxelles.
Mauvais souvenirs
Les autres critères de l’IPT incluent « la soutenabilité fiscale », c’est-à-dire une trajectoire de la dette publique qui ne soit pas jugée trop inquiétante par le Conseil des gouverneurs. Mais aussi le fait d’afficher des politiques macroéconomiques « saines et durables ». Ka BCE évaluera notamment cet aspect à l’aune des engagements pris dans le cadre de la Facilité pour la reprise et la résilience – plan d’aide de plus de 720 milliards d’euros de l’UE – et des recommandations de la Commission européenne.
De quoi rappeler de mauvais souvenirs à certains Etats. Il y a une décennie, les programmes d’aide de la BCE comme le SMP (Secuirities Markets Programme) et l’OMT (Outright Monetary Transactions) étaient en effet eux aussi affublés de conditions de politique budgétaire, implicitement ou explicitement. Ils avaient du coup été plutôt mal accueillis dans les pays les plus touchés par la crise des dettes souveraines (Grèce, Italie, Espagne…). Il faut dire que la mode était résolument à l’austérité à l’époque…
En tout cas, les investisseurs seront, eux, ravis d’apprendre que la BCE acceptera d’être traité comme un créancier « pari passu » dans le cadre de l’IPT. C’est-à-dire qu’elle réclamera les mêmes droits que les autres prêteurs, ni plus ni moins. Ce qui n’était pas le cas pour le programme SMP, pour lequel elle exigeant le statut de créancier prioritaire. Suscitant l’ire des investisseurs privés au passage.