La BCE a surpris les marchés en tenant une réunion d’urgence ce 15 juin face à l’écartement des spreads dans la zone euro. Ses annonces n’ont toutefois pas impressionné grand monde.
Surprise ! Moins d’une semaine après avoir acté le relèvement de ses taux directeurs en juillet prochain pour la première fois depuis 2011, la BCE a tenu une réunion en urgence ce mercredi 15 juin. En cause, un fort écartement des spreads dans la zone euro ces derniers jours. L’écart entre les taux d’emprunt à 10 ans de l’Allemagne et de l’Italie s’est par exemple envolé à 250 points de base le 14 juin, un plus haut depuis deux ans. Le taux nominal de la péninsule a même frôlé 4,20% ce jour-là. Du jamais vu depuis 2014 !
Flexibilité, PEPP… crise évitée ?
Il n’en fallait pas plus pour raviver le spectre de la crise des dette souveraines (2010-2012) et pousser le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne à réagir. Après plus de 2 heures de discussions, l’institution monétaire a ainsi publié un communiqué destiné à calmer les marchés.
Considérant que « la pandémie a causé des vulnérabilités durables au sein de la zone euro qui contribuent à la transmission inégale de la normalisation de sa politique monétaire entre les juridictions », la BCE a décidé « qu’elle ferait preuve de flexibilité dans le réinvestissement des tombées de son portefeuille du PEPP [programme d’achats d’urgence pandémique de 1 700 milliards d’euros, qui a pris fin en mars dernier] ». Et ce, dans l’optique de « préserver le fonctionnement du mécanisme de transmission de sa politique monétaire, une pré-condition à l’accomplissement du mandat de stabilité des prix de la BCE. »
Autrement dit, la Banque centrale européenne se donne la possibilité de racheter de la dette de pays sous tensions – Italie, Espagne, Portugal, Grèce… – au-delà des limites qui prévalaient avant la pandémie de covid-19. Dans le but de faire baisser les taux d’intérêt, bien évidemment.
Après l’OMT et le SMP, place au…
Mais ce n’est pas tout, le Conseil des gouverneurs a décidé de « mandater les comités de l’Eurosystème pertinents et les services de la BCE pour accélérer la finalisation du design d’un nouvel instrument anti-fragmentation ». C’est-à-dire de potentiellement lancer un nouveau programme de rachat d’actifs. Celui-ci pourrait être conditionnel à la mise en place de réformes structurelles par les Etats qui le solliciteront, comme l’OMT (Outright Monetary Transactions) créé en 2012. Ou un plan sans condition tel que le SMP (Securities Market Program) mis en place en 2010 pour soutenir la Grèce et d’autres pays en difficulté.
« Rappelons-nous toutefois que le SMP avait été un échec flamboyant car plusieurs pays, dont l’Allemagne, s’opposaient fermement à l’octroi de ces prêts sans condition aux pays vulnérables, signale Gilles Moëc, chef économiste d’Axa et responsable de la recherche chez Axa Investment Managers. Quant à l’OMT, la BCE n’avait pas la main dessus. Les Etats devaient en effet approuver ce mécanisme. » Autre écueil du SMP, il accordait à la BCE un statut de créancier senior, donc prioritaire. « Ce qui avait fortement déplu aux investisseurs privés à l’époque », se souvient Gilles Moëc.
Les investisseurs restent sur leur faim
Reste qu’à part sa volonté d’accélérer, la BCE n’a pas appris grand chose aux investisseurs avec cette communication surprise. « La convocation d’une réunion d’urgence à quelques heures du FOMC de la FED, préemptant de fait l’attention des marchés, ne s’est en fait traduite par rien de nouveau par rapport à ce qui avait été communiqué la semaine dernière lors de son dernier meeting, écrit par exemple Franck Dixmier, global CIO gestion de taux chez Allianz Global Investors, dans une note d’analyse. Les réinvestissements du PEPP seront potentiellement utilisés pour soutenir les spreads, et la BCE a confirmé travailler sur un outil ad-hoc anti fragmentation financière. Beaucoup de bruit pour rien, et une crédibilité qui n’en sort pas grandie. »
De son côté, Carsten Brzeski, global head of macro chez ING estime que la BCE « n’a pas adressé le problème de sa forward guidance », c’est-à-dire le flou qui entoure ses intentions en matière de politique monétaire. Et en particulier le fait que l’institution monétaire a la semaine dernière « ouvert la porte à une série de relèvement des taux au-delà de la normalisation voulue et attendue au cours de cet été. »
Moins critique, Ulrike Kastens de DWS estime que « bien que la conception [du nouvel] outil soit encore floue, l’annonce de sa mise en place devrait soulager quelque peu les marchés. »
Dans l’immédiat, la réaction des marchés reflète néanmoins une certaine incrédulité. Le spread entre les obligations allemandes et italiennes s’est à nouveau écarté pour atteindre 239 points de base après la publication du communiqué de la BCE. Alors qu’il s’était resserré à 224 points lorsque la tenue d’une réunion d’urgence avait été dévoilée quelques heures plus tôt.