Reportage – Bruno Le Maire n’a pas été avare en punchlines durant son échange avec Ruth Elkrief à l’édition 2022 de La REF. Économie(s), énergie, « super-profits » et assurance-chômage étaient au programme.
« Possible récession en Allemagne et aux Etats-Unis, remontée des taux des banques centrales, fin du gaz russe, guerre en Ukraine… Winter is coming ? » À cette première question que lui a posée notre consœur Ruth Elkrief à La REF 2022, Bruno Le Maire a répondu … « Still summer ! » Un pied-de-nez qui a déclenché l’hilarité des convives de l’ex-Université d’été du Medef.
Abondance… de punchlines
Détendu, le ministre de l’Économie s’exprimait ce mardi 30 août en terrain conquis à l’hippodrome de Longchamp. En témoignent les vagues d’applaudissements qui suivaient régulièrement ses (abondantes) punchlines. Sur la transition énergétique : « Faire croire que l’on peut la faire directement avec les énergies renouvelables ? Billevesées ! » Lorsque Ruth Elkrief lui demande s’il a entendu parler des « superprofits » : « Non ! »
Sur la potentielle difficulté du gouvernement à appliquer sa politique sans majorité parlementaire : « LR a dit qu’il ne voterait pas le budget quoi qu’il arrive, donc ma droite cède. Avec Mélenchon, je vois que ma gauche ne nous soutiendra pas beaucoup non plus. Du coup… j’attaque ! » Au sujet du marché de l’emploi : « J’entends parler de Grande Démission. Foutaises ! Ça n’existe pas ! »
Le vote du public
Ruth Elkrief n’a pas reçu un accueil aussi chaleureux du public. En effet, elle s’est fait huer une fois, lorsqu’elle continuait de filer la métaphore météorologique sur la conjoncture française. Car après que Bruno Le Maire a répondu à sa première question en signalant que l’été n’était pas terminé, que « l’économie résistait » et que « les chiffres étaient bons », elle a commenté que des nuages s’amoncelaient néanmoins.
La joute verbale a alors repris de plus belle, avec un ministre de l’Économie répliquant « qu’il peut y avoir des nuages en été » et une journaliste rétorquant que « certains étés sont parfois meurtriers ». C’en était trop pour l’assemblée, dont certains membres ont fait part de leur désapprobation en lançant quelques « bouuuuh ».
Vous avez dit « sobriété » ?
Heureusement, Bruno Le Maire ne s’est pas contenté de faire de la rhétorique durant cet échange d’une demi-heure. A propos de la conjoncture, il a confirmé la prévision de Bercy selon laquelle le PIB français enregistrerait une croissance de 2,5% en 2022, « soit le meilleur taux de tous les pays de la zone euro ». L’ex-LR n’a toutefois pas dit mot sur la dernière prévision de son ministère de 1,4% pour 2023. Bien qu’il ait été explicitement interrogé sur ce chiffre.
Au cœur de la discussion, l’inflation a évidemment occupé une place majeure. « Les prix énergétiques, dont ceux du gaz, vont-ils encore augmenter ? C’est probable », a reconnu le locataire de Bercy. Avant de relativiser : « Il faut anticiper les difficultés mais pas les surestimer, sinon on décourage nos compatriotes. Des hausses de factures d’électricité et de gaz devront passer mais elles seront contenues. »
Malgré la nature temporaire du « bouclier tarifaire » mis en place par le gouvernement, le ministre promet ainsi de nouvelles aides aux ménages et aux entreprises. Celles-ci devraient toutefois être conditionnées à des économies d’énergies, dans la lignée de la « sobriété » demandée par Elisabeth Borne. « Réduire le chauffage dans les administrations, les entreprises ou les transports, cela ne pénalise ni la croissance, ni l’emploi, ni le pouvoir d’achat », fait valoir Bruno Le Maire.
« Jet-er » les polémiques
Balayant d’un revers de main la polémique estivale concernant les jets privés – « ce n’est pas mon combat » –, le ministre mise sur le diptyque « économiser l’énergie et en produire davantage le plus vite possible » pour résoudre la crise énergétique. En s’appuyant sans surprise sur le nucléaire. « Notre responsabilité est de produire plus d’énergie décarbonée, a-t-il indiqué. Ce sera le mandat du nouveau patron d’EDF, que l’on choisira dans les jours à semaines qui viennent. » Le ministre a aussi défendu son projet de refonte du marché européen de l’énergie, se félicitant que la Commission européenne vienne de mettre ce sujet à l’ordre du jour, « un an après que j’ai écrit à Margrethe Vestager à ce propos. »
Économiser sans taxer
Aux défis posés par la remontée des taux directeurs des banques centrales – dont le rythme ne devrait pas fléchir en septembre vu l’ambiance à Jackson Hole la semaine dernière –, Bruno Le Maire oppose le sérieux budgétaire. « La hausse des taux est une raison de plus pour être responsable en matière de finances publiques, qui ont atteint la cote d’alerte, a-t-il souligné. Nous serons intraitables sur ce sujet dans les prochaines lois de finances. » Quitte à recourir au 49-3 pour faire passer les prochains budgets, au regard de la composition actuelle du Parlement.
S’il se garde pour l’instant d’annoncer des mesures d’économies précises, le ministre ne veut en tout cas pas entendre parler de la taxation des « super-profits ». « Je ne sais pas ce que c’est, tout ce que je sais c’est que les entreprises doivent être profitables », a-t-il martelé. Pas question pour lui de suivre le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie à ce sujet donc.
Bruno Le Maire préfère en effet demander aux entreprises « qui le peuvent » d’« alléger la facture de nos compatriotes » plutôt qu’une taxe qui conduirait cet argent « à aller dans les caisses de l’État ». Et de citer les actions menées dans ce sens par TotalEnergies, CMA CGM et plusieurs distributeurs.
Reforms are coming
En tout cas, deux projets du gouvernement sont bel et bien de nature à réduire les dépenses publiques : la nouvelle réforme de l’assurance-chômage et celle des retraites. Alors que le président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux proposait quelques heures plus tôt d’ajuster les conditions d’indemnisation des chômeurs en fonction de l’état du marché de l’emploi, Bruno Le Maire a confirmé la volonté du gouvernement d’avancer sur ce chantier.
« Il faut poursuivre cette réforme car vous êtes des milliers à dire que vous n’arrivez pas à recruter. Pour que nous gagnions cette ”bataille du travail”, je vous invite toutefois à garantir de meilleures conditions et perspectives de travail, et à verser des primes et de l’intéressement lorsque vous le pouvez. »
Une invitation – non applaudie cette fois – accompagnée du constat « qu’un jeune de 20 ans à qui l’on demande de travailler de midi à 15h, puis le soir et le samedi en restauration, il dit ”j’en peux plus” et il a raison ! A nous de mieux organiser le travail. » Quant à la réforme des retraites, le ministre de l’Économie a réitéré son souhait qu’elle soit mise en œuvre en juillet 2023, comme le prévoit l’Élysée.