Interview – Serge Pizem, responsable des investissements multi-asset chez Axa Investment Managers, dévoile les classes d’actifs qu’il privilégie en ce début d’année. Il fait aussi le point sur les pratiques ESG de la société de gestion, notamment à l’aune du scandale Orpea.
Quel regard portez-vous sur l’orientation des marchés en ce début d’année ?
Les turbulences actuelles devraient s’estomper avec la réouverture des économies, notamment américaine et européenne, que nous anticipons au printemps. Nous ne sommes pas inquiets à court terme pour la croissance. Aux États-Unis, le surplus d’épargne atteint 11% du PIB, ce qui est énorme et devrait favoriser la consommation. En Europe, l’emploi a été plutôt préservé et la Chine – qui contribue pour un tiers à la croissance mondiale – va davantage soutenir son économie via la politique monétaire et budgétaire.
Cela dit, les marchés connaîtront probablement de nouveaux épisodes de stress ces prochains mois. Ceux-ci seront surtout liés à l’évolution de l’inflation, de l’emploi américain, des décisions de politique monétaire et à la situation en Ukraine. L’inflation reste le sujet de préoccupation majeur et elle a déjà contraint la Réserve fédérale américaine (Fed) à accélérer son resserrement monétaire. Nous surveillerons de près l’impact des quatre à cinq hausses de taux directeurs escomptées cette année outre-Atlantique sur les marchés, et encore plus celui de la potentielle réduction du bilan de la Fed. Jerome Powell se donne en effet la possibilité de commencer à vendre des obligations et des ABS (asset-backed securities) plus rapidement qu’escompté.
En Europe, l’inflation nous semble moins inquiétante car elle est principalement importée par le biais de l’énergie. En outre, nous observons moins de tensions salariales. Le risque d’enclenchement d’une boucle prix-salaires alimentant une spirale inflationniste nous paraît donc plus faible.
Quelle est votre stratégie d’allocation d’actifs face à cet environnement ?
Nous restons favorables aux actions. Malgré leur cherté – en particulier aux États-Unis -, elles devraient encore bénéficier cette année de la croissance des profits de nombreuses entreprises. Même si les marges pourraient être un peu pincées par l’inflation, elles demeurent à des niveaux historiquement élevés. Les résultats du premier trimestre s’annoncent solides et la réouverture des économies post-Omicron stimulera l’activité.
Concernant les zones géographiques, notre préférence va aux actions européennes. Elles sont globalement moins chères que les américaines, notamment du fait de la plus faible représentation des valeurs à fort PER (ratio cours sur bénéfices) et l’absence de GAFAM. Les sociétés financières (banques et assurances) sont davantage représentées dans les indices européens et c’est le secteur sur lequel nous pourrions prendre des positions tactiques à un horizon de moins d’un an. Nous restons néanmoins investis sur le marché américain. Nos équipes AXA IM Equity – récemment fusionnées – de Framlington et Rosenberg continuent à sélectionner des actions prometteuses aux États-Unis.
Dans quelle mesure contribuez-vous à la rotation vers les valeurs décotées (value) au détriment des valeurs de croissance ?
Nous n’avons pas significativement fait évoluer nos portefeuilles ces derniers temps car nous étions déjà peu exposés aux valeurs de « supercroissance », particulièrement vulnérables à la remontée des taux. Il est toutefois vrai que nous avons renforcé notre exposition aux valeurs cycliques car il nous semble probable que la gestion value surperforme les titres à forte croissance chèrement valorisés cette année, après une décennie de sous-performance. Nous continuons pour autant à faire du stock picking dans l’univers croissance avec des positions longues (à horizon 3 ans). Nous ajustons le risque de ces placements par le biais, par exemple, de futures sur les indices bancaires européens. Nous nous étions d’ailleurs positionnés plus largement sur les valeurs bancaires il y a un an et avons pris des profits en fin d’année sur la moitié de ces lignes.
Les thématiques comme la transition énergétique – qui devrait bénéficier du soutien des autorités européennes – nous intéressent également. Tout comme le secteur des matières premières, dans le respect de notre politique d’investissement relative au secteur de l’énergie. Enfin, nous avons pris des positions tactiques sur des actions automobiles faiblement valorisées car elles devraient bénéficier, selon nous, de la résorption progressive de la pénurie de semi-conducteurs.
Les actions chinoises sont elles aussi relativement bon marché. Allez-vous jouer cette classe d’actifs ?
Nous nous posons encore des questions sur la stratégie à adopter à court terme vis-à-vis des actions chinoises car leur valorisation reflète une prime de risque. L’an dernier, le gouvernement a tout de même annihilé le secteur privé de l’éducation et a chahuté celui d’Internet. Ce risque politique nous incite donc à la prudence pour le moment.
Nous suivons par ailleurs les actions japonaises car on peut y dénicher des leaders mondiaux et des sociétés de niche très attractives pour moins cher que sur les marchés occidentaux. Nous apprécions de surcroît le fait que la gouvernance des entreprises soit en train d’évoluer au Japon avec une diminution des participations croisées (cross-holding) et une ouverture des conseils d’administrations à davantage de profils indépendants. Pour autant, le timing ne nous paraît pas encore opportun pour nous renforcer significativement sur ce marché. Nous préférons attendre des signes de reprise de l’activité économique, comme une hausse des PMI.
Quid des marchés de la dette ?
Nous avons une position courte sur les obligations gouvernementales, peu rémunératrices et exposées à la remontée des taux d’intérêt. Nous avons en revanche toujours de l’appétit pour les obligations high yield à duration courte.
L’affaire Orpea secoue en ce moment la gestion ESG. Étiez-vous exposés à cet opérateur de maisons de retraite et quelles conséquences tirez-vous de ce scandale ?
Nous n’avions quasiment pas d’actions Orpea en portefeuille. Le scandale actuel nous conforte dans l’idée qu’il ne suffit pas de se fier aux analyses des spécialistes externes pour juger des performances ESG d’une entreprise. Il faut se rendre sur place pour constater par soi-même les pratiques. Nous sommes actionnaires d’autres opérateurs de maisons de retraite aux États-Unis et comptons les questionner davantage sur les réelles conditions d’accueil de leurs résidents.
Où en êtes-vous plus largement dans le développement de la gestion ESG chez AXA IM ?
Nous avons déjà fait de gros efforts pour développer des outils quantitatifs, via le Quant Lab, qui aident nos gérants à mieux exploiter les données ESG des entreprises dans le cadre de leur stratégie d’allocation. A fin septembre, nos actifs ESG atteignaient 568 milliards d’euros et 90% de nos encours éligibles étaient classifiés article 8 ou 9 au sens du SFDR.
A ce propos, nous essayons de trouver le bon équilibre entre notre volonté de développer les fonds article 9 et notre besoin de flexibilité financière. En effet, ces fonds présentent plusieurs pré-requis. Par exemple, il est parfois difficile d’y inclure des petites valeurs ou des titres émergents car ils sont moins couverts par les analystes extra-financiers. Or nous n’avons pas le droit d’allouer plus de 10% d’un portefeuille article 9 à des émetteurs qui n’ont pas de note ESG. Une autre condition est que nous devons comparer ce type de fonds à un indicateur de référence, ce qui ne convient pas à la gestion total return qui n’est pas benchmarkée. Enfin, le fonds doit maintenir un score ESG supérieur à celui de son benchmark tout au long de sa vie.
Vous positionnez-vous également sur l’investissement à impact ?
Absolument, nous avons plusieurs fonds impact listés et non listés, dont le premier fonds Multi-asset Impact lancé en juin 2020 et qui fait partie de la gamme AWF Optimal. Nous finançons ainsi, par le biais d’actions et d’obligations, des entreprises qui contribuent à améliorer le sort de la planète ou de la population. Nous sommes aussi actifs sur les marchés des green bonds et des social bonds afin de financer des projets spécifiques, par exemple dans l’accès à l’eau et à la santé, le transport ou la dépollution. A fin septembre, les encours de notre gamme de fonds ACT atteignaient 25 milliards d’euros. Et nous ne comptons pas en rester là.
Propos recueillis par Guillaume Clément.